Frédéric KIEFFER
Avocat au barreau de Grasse,
Président d’honneur de l’AAPPE
Conseil constitutionnel, QPC, 17 novembre 2023, no 2023-1068
- Dans une décision no 2023-1068 QPC du 17 novembre 2023, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré que les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire étaient contraires à la Constitution et a alors envisagé les conséquences de cette inconstitutionnalité.
- À l’origine, c’est une simple contestation d’une saisie de parts sociales d’une société civile immobilière qui a abouti, par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité, à une remise en cause d’un partie d’un texte applicable depuis plus de trente ans (entrée en vigueur de la réforme des procédures civiles d’exécution avec la création d’un nouveau juge spécialisé, le juge de l’exécution – article 7 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, avec notamment un article L. 311-12 du Code de l’organisation judiciaire – le 1er janvier 1993).
- Pourtant, dans sa décision, le Conseil constitutionnel, conscient que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives, avait décidé, en application de l’article 62 précité, de reporter au 1er décembre 2024 la date de l’abrogation.
La même décision prévoyait une disposition transitoire en déclarant qu’à compter de la publication de sa décision, il y aurait lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er décembre 2024, le débiteur sera recevable à contester le montant de la mise à prix pour l’adjudication des droits incorporels saisis devant le juge de l’exécution dans les conditions prévues par le premier alinéa de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire. - La Chancellerie disposait donc de treize mois pour « se mettre en état » ; elle ne l’a pas fait et le 1er décembre 2024 est arrivé. Depuis cette date, l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire est ainsi libellé :
« Le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.
Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en œuvre.
Le juge de l’exécution connaît, sous la même réserve, de la procédure de saisie immobilière, des contestations qui s’élèvent à l’occasion de celle-ci et des demandes nées de cette procédure ou s’y rapportant directement, même si elles portent sur le fond du droit ainsi que de la procédure de distribution qui en découle.
Il connaît, sous la même réserve, des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires.
Il connaît de la saisie des rémunérations, à l’exception des demandes ou moyens de défense échappant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.Le juge de l’exécution exerce également les compétences particulières qui lui sont dévolues par le Code des procédures civiles d’exécution ». - Pour tirer les conséquences de cette abrogation partielle, la direction des Affaires civiles et du Sceau a rédigé une dépêche le 28 novembre 2024, dans laquelle elle indique que l’abrogation effective au 1er décembre 2024 n’a pu être anticipée par le législateur en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale, qui aurait empêché l’adoption de mesures correctrices dans les délais.
Elle en tire la conclusion que le juge de l’exécution aurait perdu sa compétence ratione materiae pour connaître des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée (soit la partie abrogée du texte de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire) et proposait une solution en rappelant que puisque le tribunal judiciaire conserve une compétence générale pour connaître de ces litiges en application de l’article L. 211-3 du Code de l’organisation judiciaire, le contentieux des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée serait désormais traité selon la procédure écrite ordinaire, dans l’attente d’une modification des textes. - Cette position de la Chancellerie n’a pas fait l’unanimité parmi les juges de l’exécution. Ainsi, plusieurs juridictions (Grasse, Paris, Lyon, etc.) ont fait part de leur analyse divergente. Certains considérant que le juge de l’exécution, malgré les conséquences de cette abrogation partielle conservait les compétences particulières qui lui sont dévolues par l’application combinée des dispositions de l’article L. 213-6 amputée du Code de l’organisation judiciaire et du Code des procédures civiles d’exécution, notamment avec certitude pour :
– les saisies conservatoires (alinéa 2 de l’article L. 213-6) ;
– les saisies immobilières (alinéa 3 de l’article L. 213-6) ;
– les demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires (alinéa 4 de l’article L. 213-6) ;
– les saisies des rémunérations (jusqu’à fin juin 2025, alinéa 5 de l’article L. 213-6) ;
– les compétences particulières dévolues par le Code des procédures civiles d’exécution, telles que l’astreinte et les demandes de délais, après la délivrance d’un commandement ou de la mise en œuvre d’une saisie.
Resterait en question celle de la compétence du JEX, en matière de contestation d’une mesure d’exécution forcée mobilière. Or, le premier alinéa de l’article L. 213-6 amputé est désormais la suivante : « Le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ». Donc, si la contestation de l’exécution forcée porte sur le titre exécutoire, la compétence du JEX n’est pas remise en cause par l’abrogation. Et comme le dernier alinéa du même article, lui confère des compétences particulières dans la partie réglementaire du Code des procédures civiles d’exécution, il resterait donc compétent pour :
– la saisie-attribution (article R. 211-10) ;
– le paiement direct (article R. 213-6 alinéa 2) ;
– l’expulsion (article R. 442-1) ;
– la saisie-vente (article R. 221-53) ;
– la saisie des droits incorporels (article R. 232-6) ;
– les mesures d’exécution sur les véhicules terrestres à moteur (articles R. 223-3 et suivants) ;
– les délais après la délivrance d’un commandement de payer aux fins de saisie-vente ou de la mise en œuvre d’une saisie (article R. 121-1) ;
– la saisie-exécution d’un navire (C. transp., art. R. 5114-29) ou d’un aéronef ;
– la saisie-appréhension et la saisie-revendication (articles R. 222 1 et suivants). - Cette position critique a entraîné une seconde dépêche de la direction des Affaires civiles et du Sceau en date du 5 décembre 2024. Elle se fonde sur la hiérarchie des normes, rappelle que la compétence du JEX n’est pas autonome et cite la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui précise que « le juge de l’exécution ne peut être saisi de difficultés relatives à un titre exécutoire qu’à l’occasion d’une mesure d’exécution forcée engagée ou opérée sur le fondement de ce titre »1.
- La plupart des tribunaux judiciaires se sont organisés pour tirer les conséquences des dépêches de la direction des Affaires civiles et du Sceau des 28 novembre et 5 décembre 2024 et ont prévu d’organiser, à compter de janvier 2025, une audience d’orientation réservée aux éventuelles contestations de mesures d’exécution forcée mobilières, dans l’hypothèse où la partie demanderesse choisirait de saisir le tribunal judiciaire.
Si le juge de l’exécution demeure saisi, deux voies seront alors possibles :
– en l’absence d’exception d’incompétence soulevée par les parties : le JEX pourrait statuer, la compétence du tribunal judiciaire n’étant pas d’ordre public ;
– en cas de défaut de comparution du défendeur : le JEX pourrait soulever d’office son incompétence et renvoyer l’affaire au tribunal judiciaire. Dans tous les cas, les dispositions de l’article 82-1 du Code de procédure civile pourront être utilisées. - Reste maintenant à attendre le nouveau texte que la Chancellerie promet pour le début de l’année prochaine.
Pourtant cette décision d’inconstitutionnalité aurait pu être évitée, si le ministère de la Justice et la direction des Affaires civiles et du Sceau acceptaient, de temps en temps, d’écouter les praticiens, puisque déjà en 2009, lors d’un colloque organisé en partenariat avec la deuxième chambre civile de la Cour de cassation sur le thème des recours dans les voies d’exécution, l’Association des avocats praticiens des procédures et de l’exécution, sous la présidence d’Alain Provansal, avait exprimé le souhait d’une nécessaire réforme de la vente forcée des droits incorporels de société civiles ou commerciales2, le droit positif étant jugé bien trop incomplet.
Plusieurs propositions de modernisation et un projet de décret ont ensuite été adressés à la direction des Affaires civiles et du Sceau, en vain… Dans l’un des projets de décret adressé, c’était prémonitoire, il était proposé, je cite : « Toute contestation, demande incidente, ou observation sur le contenu du cahier des conditions de vente est formée par le dépôt au greffe du juge de l’exécution de conclusions ». C’était en 2011…
[1] F. Kuntz, « La vente forcée des parts sociales ou actions de sociétés civiles ou commerciales », colloque AAPPE, Paris, 16 oct. 2009.